Michel Sicard est à la fois un écrivain et un artiste. Ses recherches théoriques et poétiques s’accompagnent d’une oeuvre plastique importante — dessins, peintures, photos, livres d’artiste, objets—, montrée à partir des années 80. Il a entrelacé la notion d’écriture et celle de création plastique, en inventant en 1975 une pratique minimaliste qu’il appelle écrivures. C’est un vocabulaire de touches rythmiques, de signes sans la lettre, qui s’entrecroisent et se recoupent en superpositions transparentes. Ces signes-traces allégés, en perte de matérialité, sont fonction du geste, de la vitesse et du support.
Après les Écrivures, la série des Aspersions montre des touches rasantes à acrylique fluide déposée par couches successives et dont l’orientation peut changer imperceptiblement selon la place du corps. De 1987 à 1990 la période Chromatiques aligne taches ou touches et coulures régulièrement. Cette période débouchera sur la série Chromos/vitesse où la matière écrasée se déploie de façon régulière, litanique, par l’usage de rouleaux sur papiers de riz ou draps libres.
L’idée de série s’ancre peu à peu dans son oeuvre, au sens du sérialisme en musique. Il s’agit de déployer des formes ou des taches sans idée préconçue d’une figure, et sans hiérarchie des passages, ni des plans, en investissant un espace et en le travailant en échos, comme une horloge. Ce sérialisme n’est pas mécaniste, mais s’articule à un corps propre, dont il cherche à relever, tel un sismographe, les scansions. Dans cet écart entre le codage et le corporel, naît une dérive incarnée par l’oeuvre même.
Dans une période récente, les travaux plastiques de Michel Sicard restent toujours animés par une réflexion souterraine sur le signe, et une rythmique, un temps débordant mais discontinu. Ce travail plastique ne cherche plus l’image, ou le message, mais seulement la trace d’un passage, du cheminement difficultueux d’un sujet sur un espace. On assiste à la constitution toujours problématique d’un Être, mais nomade. À Paris, à New York, à Berlin, à Marrakech, à Séoul, Nankin, Pékin, sa création s’applique au territoire, à l’espace chaotique des villes. Il crée dans la rencontre avec des supports imagiels déjà là (dessins sur affiches arrachées), ou des objets glanés in situ, parfois avec d’autres artistes, se frotte à eux dans des collaborations, en ressort altéré, nouant les temps et les pistes comme dans un palimpseste.
Ainsi son travail sur Berlin montré en 1994-1996 a-t-il capté les frissons d’une ville en partie détruite, mais qui renaît de cette destruction, dans une « reconstruction critique » (terme emprunté aux urbanistes de Berlin, titrant une de ses série). Il dit ainsi adieu au postmodernisme par le refus de toute nostalgie.
Dans une période plus récente, son travail joue avec l’astrophysique, les grands espaces, avec le hasard et le chaos. Contre « la société du spectacle », il fabrique des oeuvres de méditation, assumant la perte et l’effacement, l’entropie.
Les concepts clés de l’oeuvre de Michel Sicard sont ceux d’écriture, de trace, d’empreinte, d’écart, de flux, d’énergie, de recouvrement, de palimpseste, d’effacement, de dissémination. Ces derniers rejoignent le travail de Mojgan Moslehi. A partir de 2004, où ils font sur place pour le Seoul Arts Center une série de grands papiers en collaboration, Michel Sicard et Mojgan Moslehi exposent régulièrement ensemble, des oeuvres juxtaposées, ou des créations communes.
Michel Sicard (né en 1950) vit et travaille à Paris. Après des études de Philosophie et de Lettres, et la publication de textes de critique littéraire (notamment sur l’esthétique de Sartre), il a développé une création artistique importante. Suite à une Bourse de création du Ministère de la Culture à la Villa Arson à Nice en 1984-1985 et un prix Fontenelle décerné par le FRAC de Rouen, il a montré son travail dans de très nombreux pays, expositions tant personnelles que collectives, notamment à Londres (ICA, 1986), Rome (Villa Médicis, 1987), New York (New York University, 1987), Bruxelles (Bibliotheca Wittockiana, 1992), Berlin (Institut français, 1994), Séoul (Seoul Arts Center, 2004), Harbin (Université Normale, 2008), Nankin (Museum of Modern Art, 2008), Pékin (National Academy of Painting, 2010). Il a passé en 1995 une habilitation à dirigier des recherches sur Art et langage et occupe une chaire d’Arts plastiques à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne depuis 1998. Il a de nombreuses oeuvres dans les collections publiques tant en France qu’à l’étranger.