Le duo d’artistes Sicard & Moslehi montre une pluralité de forces et tensions et les énergies ultrasensibles telles qu’elles se nouent et se propagent dans des espaces physique comme psychique, entre paysage mental et paysage sidéral, entre l’intimité de la matière profonde indéterminée et les corps empreintés ou représentés par des portraits fracturés, dilués, ou des habits découpés qui ensemble dessinent une prolifération de signes, de passages, de creusements, de fils d’Ariane, qui sont à la fois une approche organique et une métaphore de ces énergies filantes transformant tout en réseau.
Le travail de Michel Sicard et Mojgan Moslehi recueille les frissons de l’immanence, ce qui passe et s’efface sans laisser de trace, créant un espace incertain, une apparition imprévisible et une séquence brève de vie, avec des sensations ténues et souvent impalpables, comme si la bulle d’actualisation avait autant de peine à arriver à la surface qu’elle n’y avait laissé qu’un frisson, comme une réémergence, une résurgence souterraine d’un mouvement intérieur qu’on devine à peine, tel un sang battant sous la peau que le geste capte comme un sismographe.
Leurs créations tracent les mouvements infinis qui surgissent à l’orée du mental et du visible, comme s’il y avait une écriture d’avant la lettre, infiniment plus subtile et variée, qui place le sens à la naissance du sentir, dans l’apparition impromptue entre le flot, qui garde toujours une allure amniotique, et la lumière, qui pointe ses rayons vers le sublime.
Dans leur approche picturale, la matière noire aspire les profondeurs de l’inconnu, pour atteindre les nouveaux horizons et découvrir les nouvelles possibilités à faire apparaître, tout en émettant une énergie destructive, afin d’approvisionner sa densité et représenter ce processus de venir-à-présence, ce qui maintient cette interaction de l’apparition-disparition continuelle du monde dans son ensemble, aboutissant à un effondrement total. Comme dans la série des portraits qui se perdent dans un halo de formes évanescentes, ils disparaissent, se liquéfient jusqu’à rompre tout contact avec la réalité.
Leur démarche consiste à révéler l’efficacité de cette présence non substantielle, qui se perpétue dans un entre-deux qui relie la virtualité à l’actualisation, le latent à la représentation, entre non-être et devenir, à l’orée de l’être, autant qu’au seuil du non-être, comme une fissure entre l’espace et le temps.
Ce vide, cet interstice de l’espace-temps, s’actualise dans leur vision en dématérialisant l’espace sensible de l’œuvre, procédant par des moyens réflexifs et ombrageants, l’effet vague comme le brouillard, la buée, ou la fluctuation résonante qui incite cet instant voilé et évanescent. Pour ainsi dire l’œuvre est un écran translucide à travers lequel le monde se reflète et s’introduit dans les choses. Cette image-flux, d’où le mouvement ondoyant et flottant s’enveloppe et s’envide dans l’énergie de l’actualisation de son temps, représente le monde participant dans chaque projection de cet instant fugitif et considère chaque chose singulière, chaque particule, en tant qu’un monde pour soi.
Leurs projets se développent entre le réel et le sensible, entre soi et non-soi, dans un intervalle où survient quelque chose : écho, rupture, surgissement visible d’un rien invisible, dans un continuum vibrant, projetant son expansion lumineuse, son vide, son reflet intemporel, spatialisant des moments fugitifs, des espaces illusoires amoncelés et suspendus qui s’effacent d’un reflet et se révèlent d’un autre, interpellant et bouleversant leurs injonctions réfléchies, leurs battements vides qui se déroulent de couche en couche à partir d’une profondeur ténébreuse habitant au-delà de l’inertie, jusqu’à la clarté palpitante, nouant un espace à l’autre. Une traversée d’absence dont ils gagnent tout leur essor et leur efficience.
Ou encore dans leur approche photographique, l’objet retraité surgit à l’image, témoignant de sa disparition, sa perte de réalité, son vide qui le met en œuvre, le rendant muet en supprimant son espace de résonances. L’image répète l’objet à partir d’une distance qui est sa réserve, non pas en l’obstruant, mais en la laissant vide.
Ce vide qui reflète un fragment de réel, s’échappe de la réalité imposée par le sujet – qu’on peut définir comme discontinuité –, et introduit dans cette discontinuité une continuité se propageant comme une onde, se transfigurant en retentissement afin de rester toujours non conquise, nous impliquant dans ce mouvement de propagation. Là, l’œuvre photographique n’est qu’une vision illusoire qui impose à son objet une représentation de l’intuition, ou même une négation de la réalité, ce qui la met à l’apogée du renversement des limites, de l’envoûtement des possibilités dont elle établit sa force d’altération.